L'activité de location meublée est-elle civile ou commerciale au sens du droit privé ?
La location meublée est de nature civile si elle peut s'analyser comme étant essentiellement une location d'immeuble. C'est le cas de la location meublée de longue durée sans service. Mais la location meublée de courte durée et celle qui inclut des services significatifs peuvent s'analyser comme une prestation d'hébergement de nature commerciale.
L'intérêt de cette question en droit fiscal est notamment que certains régimes de faveur sont réservés aux activités commerciales.
En principe, c'est la loi qui fixe la liste des actes de commerce
L'article L 110-1 code de commerce prévoit la liste des principaux actes de commerce :
"La loi répute actes de commerce : (…)
4° Toute entreprise de location de meubles ; (…)
6° Toute entreprise de fournitures, d'agence, bureaux d'affaires, établissements de ventes à l'encan, de spectacles publics ; "
Il ressort de cette définition, trois points importants :
- l'activité de location d'immeuble, non citée par l'article, est de nature civile,
- l'activité de location de meubles est de nature commerciale,
- l'activité de prestation de services, hors les cas de l'activité libérale et de la location, est de nature commerciale (cass. com. 5 décembre 2006, 04-20.039).
Application à la location meublée
La nature juridique de la location meublée peut donner lieu à débat car il s'agit à la fois d'une location d'immeuble, de nature civile, et d'une location de meubles, de nature commerciale.
Par ailleurs, la prestation d'hébergement, comme toute prestation de service, est de nature commerciale.
Les positions très anciennes de la Cour de Cassation
Il existe de très anciennes décisions de la Cour de cassation sur la question du caractère commercial ou civil de la location meublée. (Cass. civ. 15-2-1921 : Gaz. Pal. 1921. 1. 337 ; Cass. com. 5-12-1961 : D. 1962.88, Cass. civ. 30-4-1862, DP 1862. 1. 351.)
Ces décisions sont citées par le rapporteur public Yoann BENARD, sous la décision du Conseil d'Etat (CE QPC 9e-10e ch. 20-11-2017 n°408176) admettant la QPC ayant abouti à la décision du 8 avril 2018 (voir ci-après), pour considérer que la location meublée est de nature civile.
Mais le rapporteur public fait une analyse sommaire des décisions de la Cour de cassation car une lecture attentive de ces décisions fait apparaître que, déjà à l'époque, le juge faisait une distinction entre plusieurs types de location meublée.
Il résulte en effet de la décision précitée de 1862 et des commentaires sous celles de 1921, qu'il fallait faire une distinction entre, d'une part, la location d'un logement dans sa résidence, qui est une activité civile, de l'activité de "logeur en garni" d'autre part, qui est une activité commerciale.
A l'époque, le juge civil renvoie d'ailleurs à la législation fiscale de la patente comme indice de distinction. Les logeurs soumis à la patente sont présumés être des commerçants et les autres exercent une activité civile.
Or le code des patentes de 1858 distingue le "logeur", assujetti à la taxe, du loueur qui loue une partie de son logement, exonéré (voir en ce sens Laurent Vallée dans ses conclusions sous CE 24 mars n° 269716, 9e et 10e s.-s., min. c/ Denis : RJF 6/06 n° 718).
Position ancienne de l'administration et du Conseil d'Etat applicable avant 2017
Les services fiscaux et le Conseil d'Etat (voir par exemple CE 22-3-1929 n° 98130 : Dupont 1929 p. 520 et CE 3e-8e s.-s. 28-12-2012 n° 347607 : RJF 3/13 n° 257, concl. E. Cortot-Boucher BDCF 3/13 n° 26) ont longtemps repris à leur compte l'idée que l'activité de location meublée devait être considérée comme commerciale au sens du droit privé, du moins si elle était exercée à titre habituel.
Cette position explique le rattachement initial de la location meublée à la catégorie des BIC.
Pour les revenus perçus avant 2017, le contribuable qui se livrait occasionnellement à des opérations de location en meublé était imposé dans la catégorie des revenus fonciers. Seule la location meublée à titre habituelle était rattachée aux BIC.
L'ancienne doctrine des services fiscaux indiquait :
"Pour être considérée comme une opération commerciale, la location en meublé doit être, en principe, effectuée à titre habituel.
Un contribuable qui ne se livre qu'occasionnellement à des opérations de location ne saurait être considéré comme ayant exercé une profession commerciale et ne peut, par suite, être taxé au titre des bénéfices industriels et commerciaux."
CE 22-3-1929 n° 98130 : Dupont 1929 p. 520 ; BOI-BIC-CHAMP-40-20 n° 50, 6-7-2016)
Cette position était très proche, en définitive, de l'ancienne jurisprudence précitée de la Cour de cassation. Elle était conforme au droit privé.
La réforme de 2017 et le rattachement de la location meublée au régime des BIC par la loi
A l'occasion de la discussion de la loi de finances rectificative pour 2016, un amendement n° 579 a été soumis au vote et adopté. Cet amendement a ainsi été présenté aux parlementaires dans l'exposé des motifs :
"Il est proposé de clarifier la qualification fiscale des revenus tirés de la location meublée pour la détermination de l’impôt sur le revenu. En effet, actuellement les revenus tirés de la location meublée occasionnelle, c’est-à-dire ponctuelle et pour une courte durée, relèvent de la catégorie des revenus fonciers alors que ceux provenant de la location meublée habituelle relèvent de celle des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
La présente mesure prévoit que les revenus tirés d’une activité de location meublée, qu’elle soit exercée à titre occasionnel ou habituel, relèvent de la catégorie des BIC."
Ce texte a modifié l'article 35 du CGI pour rattacher expressément la location meublée au régime des BIC en rajoutant un 5° bis qui indique :
"I. - Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : (…)
5° bis Personnes qui donnent en location directe ou indirecte des locaux d'habitation meublés ;"
Lorsque ce texte est voté, il ne fait aucun doute dans l'esprit du législateur que la location meublée relève des BIC par l'article 34 du CGI. L'amendement ne vise qu'à étendre aux locations occasionnelles l'assujettissement au régime des BIC. Mais, pour le législateur, la location meublée à titre habituel, relevait déjà des BIC, en tant qu'activité commerciale au sens du droit privé.
Le fait de prévoir cette activité à l'article 35 ne permet pas de préjuger que cette activité ne présente pas en fait un caractère commercial au sens du droit privé (voir par analogie CE 29-4-2002 n° 234133, 3e et 8e s.-s., min. c/ Jacob : RJF 7/02 n° 769 ; BOI-BIC-CHAMP-80-10-10-10 n° 360, 30-6-2014).
Cela étant, de facto, suite à l'adoption de ce texte, toute location meublée, qu'elle soit de nature civile ou commerciale au sens du droit privé, s'est trouvée nécessairement rattachée au régime des BIC, par l'article 34, ou par l'article 35 du CGI.
La position du Conseil Constitutionnel dans sa décision du 8 avril 2018
Le 8 février 2018 (2017-689 QPC), le Conseil Constitutionnel a abrogé la condition d'inscription au RCS des loueurs en meublé professionnel (LMP), en considérant qu'il était anormal d'exiger une condition d'inscription au RCS à un exploitant exerçant une activité de location meublée.
Le recours avait été engagé par un fonctionnaire qui se trouvait exclu du régime du LMP car l'inscription au RCS était impossible pour lui, compte tenu de l'incompatibilité du statut de fonctionnaire avec celui de commerçant. Or l'inscription au RCS entrainant la qualité de commerçant, la loi fiscale aboutissait de facto à lui interdire le statut de LMP.
Le Conseil Constitutionnel a indiqué :
"En subordonnant le bénéfice de l'exonération à l'inscription au registre du commerce et des sociétés, le législateur a entendu empêcher que des personnes exerçant l'activité de loueur en meublé à titre seulement occasionnel en bénéficient.
Toutefois, l'article L. 123-1 du code de commerce prévoit que seules peuvent être inscrites au registre du commerce et des sociétés les personnes physiques « ayant la qualité de commerçant », laquelle est, en vertu de l'article L. 121-1 du même code, conférée à « ceux qui exercent des actes de commerce … ». Dès lors, en subordonnant le bénéfice de l'exonération à une condition spécifique aux commerçants, alors même que l'activité de location de biens immeubles ne constitue pas un acte de commerce au sens de l'article L. 110-1 du même code, le législateur ne s'est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques."
Incidemment, le Conseil Constitutionnel a pris position pour considérer que l'activité de location meublée était de nature civile au sens du droit privé.
Mais, le Conseil Constitutionnel n'a pas prétendu que l'activité de location meublée était nécessairement toujours de nature civile, ce qui n'était pas de sa compétence, et ce qui était inutile à la motivation de sa décision.
L'activité de location meublée peut présenter un caractère commercial au sens du droit privé quand il s'agit d'une prestation d'hébergement
La seule juridiction compétente pour se prononcer sur le caractère civil ou commercial d'une activité au sens du droit privé est la Cour de Cassation.
Or la Cour de cassation a récemment jugé que l'activité de location meublée à la journée ou à semaine pouvait présenter un caractère commercial.
Dans une décision du 27 février 2020 (Chambre civile 3, 18-14.305 RJDA 05/20 -15/04/2020 ), la cour fait valoir :
"Ayant constaté que la société [...] se livrait à une activité commerciale de location à la journée ou à la semaine d'appartements et de studios et retenu, appréciant souverainement la destination de l'immeuble, que le règlement de copropriété de la résidence des Pins réservait les bâtiments à l'usage exclusif d'habitation et que l'utilisation des locaux à titre professionnel était autorisée sous réserve que l'activité professionnelle ait été exercée dès l'origine, dans des locaux annexes à ceux servant à l'habitation du propriétaire, ce qui excluait que les appartements soient utilisés au titre d'une activité commerciale, la cour d'appel a pu en déduire qu'il devait être fait interdiction à la société [...] de louer ses lots privatifs ou de les faire occuper par sa clientèle, alors que celle-ci ne précise pas, concrètement, en quoi la mesure d'interdiction la priverait objectivement de la substance même de son droit de propriété sur ses lots."
Cette décision illustre le fait que la location meublée présente un caractère commercial quand il s'agit d'une prestation d'hébergement.
En effet, si la location meublée est une prestation d'hébergement, ce n'est pas une location d'immeuble, c'est une prestation de service courante, et en principe c'est un acte de commerce.
Cette question peut être rapprochée de la question du régime de la location de locaux professionnels assortie de fournitures.
Il a ainsi déjà été jugé, en matière d'ISF, que la location nue de locaux professionnels est de nature commerciale si elle est accompagnée de certaines fournitures.
Une société qui loue des locaux avec les fournitures d'électricité, de télex et de téléphone ne se contente pas de louer des immeubles nus, mais exerce une activité commerciale. Les actions de cette société peuvent donc constituer des biens professionnels exonérés (Cass. civ. 19 octobre 1999, 97-13525 RJF 11/89 n° 1292).
Le Conseil d'Etat (24-3-2006 n° 269716, 9e et 10e s.-s., min. c/ Denis : RJF 6/06 n° 718) a jugé que l'activité de location meublée peut être de nature professionnelle (au sens de la taxe professionnelle) compte tenu des moyens matériels ou intellectuels engagés.
Plus récemment, le Conseil d'Etat (19 avril 2022, n° 442946 : RJF 7/22 n° 668) a retenu comme présentant un caractère économique, éligible au régime de l'apport-cession, l'activité de location meublée qui consiste à fournir une prestation d'hébergement, ou si elle implique d'importants moyens matériels et humains.
La location meublée longue durée peut même présenter un caractère commercial compte tenu des fournitures
Le régime légal applicable à la location meublée longue durée en résidence principale a été sensiblement modifié par la loi ALUR n° 2014-366 du 24 mars 2014.
En application de cette loi et du nouveau titre 1er bis, instauré dans la loi de 1989, le bailleur doit fournir, et donc remplacer si nécessaire, tous les meubles et les objets nécessaires à l'habitation, du congélateur à l'aspirateur, en passant par les assiettes, les petites cuillères et les casseroles (voir liste du décret n° 2015-981 du 31 juillet 2015 fixant la liste des éléments de mobilier d'un logement meublé).
Le simple remplacement des meubles et objets cassés peut devenir une contrainte très lourde dans ce type d'activité. Et il peut arriver que ce type de location soit assorti de prestations.
La parahôtellerie est une activité commerciale
La parahôtellerie, dans la définition retenue par les services fiscaux dans leur doctrine, est une activité de nature commerciale, compte tenu de l'importance des services proposés en plus du logement.
Or, comme il l'a déjà été indiqué, l'expression "location meublée", au sens courant de cette expression, peut désigner des activités de parahôtellerie.
Paul Duvaux est un expert en fiscalité depuis 30 ans, avec bientôt 10 ans de spécialisation dans le meublé. Il est l'auteur des contenus du site, apportant ses connaissances et son expertise pour informer les futurs lecteurs sur les dernières tendances et les meilleures pratiques en matière de location meublée. Avec plus de trois décennies d'expérience dans le domaine de la fiscalité, Paul Duvaux est un expert incontesté en la matière.